Avant la fin de primaires pour les élections présidentielles de 2024, la Cour suprême aura à résoudre un problème juridique : celui de l’éligibilité de Donald Trump au regard de la section 3 du 14ème amendement. Mais elle aura aussi à réfléchir sur sa propre légitimité politique pour écarter ainsi l’ancien président au lieu de laisser l’électorat en décider.
Quoiqu’il en soit, le devoir du juge est de statuer en droit, quitte – aux États-Unis où cela est légal— à exprimer ses troubles de conscience dans la publication d’opinion particulières ou dissidentes. En tous cas, sur le seul plan juridique, la cause, même si elle est compliquée, nous semble certaine en sa solution.
Une méthode d’interprétation : L’exégèse
La méthode qui est actuellement dominante, dans cette juridiction supérieure, est ce que l’on appelle en Europe continentale « l’exégèse », et, aux États Unis « l’originalisme ou textualisme ». Elle consiste à rechercher la volonté des rédacteurs du texte sans se soucier de l’adapter au contexte contemporain ou à de nouvelles réalités comme le voudraient les courants doctrinaux «constructivistes ».
Et en tout état de cause, quelle que soit la méthode choisie, il s’agit de traiter une question fondamentalement transhistorique, à savoir : doit-on écarter un citoyen qui a trahi un système constitutionnel, en transgressant ses règles de droit par la force, de toute participation future à ce système ? Cela pour des raisons morales sans doute mais aussi en raison du danger qu’il représente. Il est clair en l’espèce que les données générales du problème et la gamme des solutions possibles n’ont pas varié sensiblement depuis 1868, date de rédaction du quatorzième amendement.
Le Contexte historique de la rédaction du 14e l’amendement
Rappellons ici le texte du 14e amendement : Article 3. Nul ne sera sénateur ou représentant au Congrès, ou électeur des président et vice-président, ni n'occupera aucune charge civile ou militaire du gouvernement des États-Unis ou de l'un quelconque des États, qui après avoir prêté serment, comme membre du Congrès, ou fonctionnaire des États-Unis, ou membre d'une législature d'État, ou fonctionnaire exécutif ou judiciaire d'un État, de défendre la Constitution des États-Unis, aura pris part à une insurrection ou à une rébellion contre eux, ou donné aide ou secours à leurs ennemis. Mais le Congrès pourra, par un vote des deux tiers de chaque Chambre, lever cette incapacité.
Cet amendement a été rédigé en 1868, suivant la guerre civile de sécession mais aussi après le coup d’état de Napoléon III en 1851, le troisième en France en moins de cent ans. Nul doute que les rédacteurs, non seulement juristes, mais des Américains cultivés qui avaient pour la plupart « fait leurs « humanités » classiques. Réfléchissant sur les coups de force en politique, ils ont sans doute songé aux Ides de Mars, date du coup d’État manqué et assassinat réussi contre Jules César, mais les références pratiques qui les ont guidés étaient sûrement plus proches d’eux. La république française était en effet un exemple particulièrement pertinent des maux qui peuvent atteindre une démocratie en construction.
En 1868, ces hommes de la classe politique nordiste étaient encore fiers de l’enthousiasme suscité dans le monde intellectuel européen par la Constitution américaine de 1787, horrifiés par la Terreur de 1793, inquiétés par le souvenir des coups d’État bonapartistes du 18 Brumaire, an VIII (17 Novembre 1799) et du 2 décembre 1851 ; et fort circonspects devant celui accompli par les « conventionnels » le 9 thermidor an II ( 26 juillet 1794) pour balayer la sanglante tyrannie de Robespierre. Les rédacteurs du quatorzième amendement voulurent à n’en pas douter, écrire un texte ayant un champs d’application très large pour écarter du pouvoir les individus capables de telles exactions. Des caractéristiques transposables au événements du 6 janvier 2021.
Afin de voir si le 6 janvier 2021 fut bel et bien une tentative de coup d’état, examinons plus en détails ces coups de force du passé — dans l’expérience des premières républiques françaises — et voyons si dans leurs caractéristiques, ils peuvent etre mis en parallèle avec les événements du 6 Janvier 2021.
Un voile de légalité pour justifier le coup de force.
Le premier point commun est le souci des insurgés à être reconnus comme agissant dans le cadre de la légalité, même si, dans les faits, ils l’ont foulée aux pieds. A l’instar de Donald Trump et ses partisans qui s’efforcent de présenter les événements du 6 janvier 2021 comme une protestation bien légitime contre une fraude électorale. Rappelons brièvement les faits historiques français tels qu’ils ont pu servir d’exemples négatifs pour les rédacteurs.
Le 9 thermidor qui dura du 8 au 10, consista d’abord à la mise hors la loi de Robespierre et de ses partisans, Puis au vote des actes visant à leur condamnation. En pratique cela aboutit à des suicides et des exécutions sommaires. L’émeute grondait dans Paris et l’agitation s’empara de la Convention. Mais Robespierre lui-même hésita avant de signer un appel aux « sections » —des groupes armés— en se demandant s’il avait des compétences juridiques pour ce faire.
Le 18 Brumaire qui dura du 17 au 19, se déroula devant le Conseil des anciens et celui des Cinq-cents et commença par un décret de transfert des assemblées à Saint Cloud sous le fallacieux prétexte de les protéger plus efficacement. Les conjurés de ces cénacles s’accusèrent mutuellement d’être « des hors la loi » et s’arrachèrent des motions contradictoires par le tumulte, la menace et l’intimidation, mais au nom d’une procédure qui se prétendait régulière, d’abrogation et de remplacement de la Constitution du « Directoire ». Ce ne fut qu’après un vote des Anciens validant ce changement, que le Conseil des Cinq-cents fut dissout et que le futur maréchal Murat, à la tête de ses soldats, ordonna : « Foutez-moi tous ces gens dehors ».
Le coup de force du 2 décembre 1851 présente de fait un aspect particulier car il fut fomenté par le Prince Président Bonaparte alors en fin de mandat, et dans l’impossibilité, prévue par la Constitution de la 2e république, de solliciter un renouvellement. Tout commença en juillet 1851 par un long conflit avec l’assemblée parlementaire unique, pour obtenir une révision de la Constitution. Après des échecs répétés du président Bonaparte, le coup de force fut lancé. Dans la nuit du 1er au 2 décembre, une série d’arrestations frappa des opposants civils ou militaires ; le 2 au matin, six décrets furent publiés prévoyant notamment : la dissolution de l’Assemblée, cela en violation de la Constitution, et un plébiscite au suffrage universel suivi de nouvelles élections, pour entamer un changement de constitution et valider à posteriori les actes de l’exécutif. Là encore, un voile de légalité pour justifier le coup de force.
Des étapes pour ces coups d’états qui évoquent bien l’assaut du Capitole
Le deuxième point commun de ce que l’on peut appeler ces coups d’état « pseudo-légaux », et qui évoque bien l’assaut du Capitole par les émeutiers du 6 janvier 2021, était de commencer par prendre le contrôle des assemblées, pour qu’elles valident le processus. Lors des deux premiers coup d’état, ce furent par la menace l’intimidation et le tumulte interne que les assemblées furent contraintes à renoncer à leur pouvoir. Et en 1851, ce fut le chef de l’exécutif, Napoléon III qui dissolut l’Assemblée, un acte radical et ouvertement irrégulier. Le rôle implicite de l’armée, autre élément ressemblant Cela nous conduit au troisième point commun qui est le rôle réel mais très implicite des forces armées. Au contraire du modèle des coups d’état militaires, Les armées n’agissent pas contre le régime mais se bornent à une inaction en ne le défendant pas. En 1791 la Convention fut tumultueuse, avec les suicides de quelques jacobins par défenestration et un coup de feu qui tua Robespierre, mais ce fut tout de même la Convention qui vota la fin du régime de la première république. L’armée se divisa, l’émeute se développa dans Paris mais il n’y eut pas d’affrontement majeur. Lors du 18 Brumaire, le général Bonaparte entra au Conseil des Anciens encadré seulement de quatre grenadiers — de simples gardes du corps—. Cela fit grand scandale et il fut contraint à battre rapidement en retraite. La présence des troupes au dehors était réelle et menaçante, mais elles n’eurent aucun rôle actif. Enfin en 1851, les arrestations de la nuit furent conduites par une poignée de policiers et l’armée n’entra en action qu’après que l’affaire fut faite pour une répression qui ne dura que quelques semaines.
Ces coups de force étaient pseudo légaux, visaient à annihiler le pouvoir des assemblées et n’avaient pas le caractère de coup d’état militaire. (1) De même le 6 janvier 2021 L’armée eut un rôle implicite en restant en retrait sans se mêler de contenir la rébellion. L’efficacité de l’action des forces de police n’appelait pas son intervention et la rendirent inutile. (2) D’autant que selon la Constitution américaine, l’armée n’intervient pas dans les affaires intérieures comme Trump l’avait lui même expérimenté à ses dépends lorsqu’évoquant son pouvoir sous l’acte d’insurrection de 1807, il avait brandit la menace de faire intervenir l‘armée pendant les émeutes qui avaient suivi la mort de George Floyd en 2020, son propre ministre de la défense et tout l’établissement militaire l’avait fortement désavoué. L’armée n’intervenant pas sur le sol américain et contre les citoyens.
Un texte destiné à la protection de la jeune république américaine
Tout converge pour indiquer que ces événements furent une des principales références des constituants de 1868 quand ils rédigèrent le 14e amendement. Bien entendu, ils avaient nul doute aussi en tête les événements de la guerre de sécessions et souhaitaient prévenir tout acte de sécession telles qu’observées avant ou après la guerre civile. Mais ce texte était destiné à la protection de la jeune république américaine contre des entreprises que l’on avait vues à l’œuvre outre atlantique. Ce ne sont pas sur des coups d’état militaires que les rédacteurs du 14e amendement se sont fondés. Il s’agissait d’écarter des factieux de mandats où ils auraient pu mettre la démocratie en danger en agissant notamment à l’intérieur des assemblées ou du pouvoir exécutif, pour mettre à bas l’ordre constitutionnel. Si l’on observe que ce fut ce modèle « insurrectionnel », qui inspira les rédacteurs du 14e amendement, on doit admettre aussi que cette disposition constitutionnelle s’applique très exactement aux événements du 6 janvier 2021, avec fort heureusement une différence de fait qui n’est pas mince : le 18 Brumaire de Donald Trump a échoué car la fureur et la désorganisation ont remplacé la stratégie. L’apparence de légalité causée par l’affirmation arbitraire de Trump qu’il s’agissait d’une élection volée par la fraude aurait voulu que le Vice Président Mike Pence chargé de la certification de l’élection, renverse le résultat et soit approuvé par le Congrès. Or il a refusé de se livrer à une telle violation de la Constitution qui aurait aussi été un parjure.
Malgré les appels à peine voilés en ce sens, de Donald Trump, ses partisans à l’intérieur du congrès, n’ont pas pris le contrôle de l’Assemblée par la force ou la menace, il n’y a pas même eu pas de tentative sérieuse en ce sens. Enfin les émeutiers, conviés par celui qui était encore le président, ont échoué dans leur tentative d’envahir la salle où siégeaient les membres du Congrès. La garde du capitole dans sa détermination à combattre —qui lui causa tout de même des pertes humaines— s’opposa à cette insurrection, et Donald Trump lui-même qui voulut rejoindre ses partisans, se vit refuser par les agents du Secret service de le conduire en un lieu où il n’avait pas le droit de paraître. Par la suite les forces de l’ordre mobilisées rétablirent le calme. La force publique en tout point se conduisit conformément à ses devoirs définis par la constitution et le coup de force échoua.
Devant cette épreuve ultime contre la démocratie, l’efficacité du quatorzieme amendement démontre les qualités analytiques des rédacteurs de la Constitution, qui se sont fondés sur les expériences historiques en France pour prémunir leur pays contre ces coups d’Etat. Une jurisprudence sans précédent pour un événement sans précédent Le 6 janvier 2021, pour la première fois dans l’histoire de la république américaine, un président dont le devoir était de servir la constitution, s’est rebellé contre sa règle électorale, et a organisé une insurrection pour parvenir à ses fins. Certes cette action n’avait aucun caractère militaire comme le relèvent bien des commentateurs,(3) mais ce fut bel et bien une tentative de Coup d’état et une atteinte à la constitution, puisqu’elle en porte toutes les caractéristiques telles que les rédacteurs des amendements avaient pris le soin de les décrire et les prévoir dans la section 3 du 14e amendement. Ainsi la sanction d’inéligibilité édictée par ce texte doit être appliquée, non seulement pour punir un geste inacceptable, mais aussi ne serait-ce que pour établir une jurisprudence et un précédent indispensable qui protégera la démocratie américaine.
Un dilemme politique : la légitimité de la cour suprême pour statuer ou le renvoi à l’électorat.
La Cour Suprême se trouve devant un dilemme d’une importance qui s’apparente à celui qui lui était posé lors de l’affaire Marbury /vs Madison lorsque en 1803 elle reconnut sa compétence pour contrôler la constitutionnalité des lois. (4)
En l’espèce qui nous occupe, le droit est tout aussi clair, le comportement de Donald Trump le rend inéligible, mais écarter ainsi de l’élection un candidat qui a une chance sérieuse de l’emporter pose indéniablement un redoutable problème politique. Puisque l’élection doit suivre immédiatement, pourquoi ne pas laisser le peuple décider ? C’est, n‘en doutons pas, l’argument que le candidat républicain et sa base republicaine clamera s’il est déclaré inéligible et il ne peut être balayé d’un revers de main.
Pour poser le problème revenons aux fondamentaux
Comment s’articule exactement ce problème ?
Avant tout, le droit est un phénomène second qui traduit une volonté politique et le choix des pères fondateurs de la république américaine dans l’espèce qui nous occupe est clair. Que nous apprend-t-il sur la base à la fois philosophique et politique de la Constitution de 1787 ? Les trois premiers mots :’’We the people’’(nous le peuple) sont particulièrement éclairants. Par eux les américains se constituent en peuple, en nation et décident, comme premier acte politique, de se donner une constitution. Notre première observation : C’est là une spécificité de la nation américaine. Elle s’est bâtie autour d’une constitution redigee en 1787, soit deux ans avant notre révolution, avec pour premier but la liberté : À l’origine, il y a des gens qui fuyaient la misère et les persécutions. C’étaient les « pèlerins « du May Flower qui souhaitaient mettre des lois fortes pour gerer les affaires de leur nouveau pays.
La règle constitutionnelle, protectrice, s’oppose aux « caprices du prince » Même Trump ne remet pas en cause la constitution ouvertement.
Notre deuxième observation est que cette construction est rationnelle. - Par ces trois mots, le peuple se constitue en corps politique et se donne un système de gouvernement censé être accepté par tout le monde. On se situe au niveau des fondamentaux ( En anglais ‘’politics’’). - Ce système fait place à la diversité des opinions ( ce que Weber appelle les intérêts matériels et moraux) qui devront être gérées pacifiquement au fil des politiques mises en œuvre. ( ‘’policies’’ en anglais). - Ce système se dote d’un mécanisme de régulation en reconnaissant la justice comme une des trois branches du pouvoir.
Enfin c’est un choix philosophique, fidèle aux ‘’lumières’’, moral et finalement politique, pour la liberté garantie des droits, (‘’bill of right’’) et la limitation du pouvoir (‘’limited government’’) notamment par la régulation juridictionnelle, en faveur de l’égalité ( cf. les articles interdisant la reconnaissance officielle de tout titre de noblesse) et même à travers le ‘’We’’ qui indique que le peuple entité sociologique se constitue en corps politique avec un État au service de tous les citoyens, la fraternité. 2. Nous sommes dans un projet qui s’inscrit dans une conception volontariste de la nation, comme résultant de la décision du peuple de se constituer en nation, que ce soit dans une continuité de l’histoire ou en rupture avec elle, comme dans le cas de la révolution française, selon l’exemple pris par Michelet, ou celui de la déclaration d’indépendance américaine prélude à élaboration de la constitution de 1787. Ce choix s’oppose à celui soutenu par le mouvement MAGA, qui se veut de grandeur et de puissance, porté par un chef charismatique qui ne lésine pas sur les superlatifs à propos de ses propositions ‘’formidables, incroyables, superbes‘’.
Ce choix de la Convention de Philadelphie découle d’une conception rationnelle légale de la légitimité qui s’oppose à la conception de Donald Trump et de son mouvement qui est d’abord charismatique avec l’idolâtrie du chef et tente d’apparaître traditionnelle avec la prétention d’incarner seule ce qui est américain et qui remet en cause comme tous les populistes ce qu'il appelle "le gouvernement des juges." Il écarte la source démocratique de la légitimité, au profit des deux sources archaïques des autoritarismes. Ce choix politique fondamental base de la constitution de 1787 devra être mis en œuvre par la Cour Suprême dans la résolution du problème soumis par l’application du 14th amendement de 1868 et cela se lit dans le mécanisme juridique de ce texte, qui fait du juge constitutionnel le régulateur du système démocratique, et donc de l’élection.
Le mécanisme juridique du 14th amendement s’insère dans la logique générale de la constitution et en tire sa légitimité. ⃠Le juge ne gouverne pas : il assure la cohérence de la loi ordinaire (« Policy ») avec la règle fondamentale et fondatrice (« politic »).
Ainsi il cela assure la liberté en permettant le jeu des désaccords (conflictualité sociale selon Weber), gérés par la loi ordinaire dans le cadre d’un consensus plus vaste attaché à la loi fondamentale. C’est la définition par Weber de la politique comme gestion pacifique de la conflictualité sociale. ⃠Le peuple garde le dernier mot car on peut toujours amender la constitution mais à une majorité qualifiée ( les deux tiers ou les trois quart) qui correspond au consensus le plus large.
Ce mécanisme protège la constitution —loi fondamentale — des variations constantes et normales de la « policy » gestion ordinaire de la conflictualité sociale, dans la logique de la légitimité rationnelle légale.
Le fonctionnement du quatorzième amendement
En l’espèce le 14e amendement, désigne ceux qui doivent être écartés des « offices », précisés comme des fonctions les plus importantes, à cause d’un parjure, qui consiste en la rupture de leur serment de servir la constitution. Cette perte d’un droit civique (defranchising en anglais) est édictée en raison du danger qu’ils représentent pour le système constitutionnel. On peut donc en conclure que cette disposition participe à la protection du système et que le juge, dont c’est une des missions, est qualifié pour statuer sur la régularité de sa mise en œuvre. Cela ne signifie pas que ce ‘’defranchising’’ ne peut résulter que d’un jugement séparé, comme le soutiennent les partisans de Donald Trump, mais plus simplement que la Cour Suprême doit avoir le dernier mot à l’issue de cette procédure.
III/ La cour suprême aura le dernier mot
Même si le congrès a un « droit de grâce » sur le principe, il ne pourra l’exercer que s’il obtient l’accord aux deux tiers dans les deux chambres (celle des représentants et le Sénat) donc il n’y a aucune chance que cela se produise et cette règle des deux tiers paralysera son action. La question de savoir si cette grâce peut être accordée à priori comme à postériori est donc en l’espèce inutile.
Quel est le plus logique à la fois juridiquement et politiquement ?
En ce qui concerne la décision du 8 Février, deux cas de figure se profilent ou bien fidèle à ses valeurs, la cour suprême déclare le candidat Trump inéligible . C’est le scénario le plus probable. En effet, la Cour Suprême a refusé d’annuler le résultat des élections présidentielles, demandé dans plusieurs états et par divers représentants du GOP, à la suite de recours émanant, du Président lui même, et cela avant l’insurrection du 6 janvier 2021. Le 6 Janvier 2021, Trump a ensuite commis une rébellion puisqu’il se rebella contre la norme en disant que l’élection avait été volée et qu’il a appelé à l’insurrection entraînant beaucoup de supporters derrière lui.
Si la Cour suprême déclare l’inéligibilité, le candidat Trump n’aura aucun recours. Et cette décision sera sans appel.
L’autre scénario est que la Cour Suprême rejette l’inéligibilité. Dans ce cas, outre le fait qu’elle se déjugerait, elle prendrait une décision « contra legem » en violation de la loi. Ses membres habilleraient probablement cela en disant qu’en fait que ce qui s’est passé n’était ni une rébellion ni un appel à une insurrection. Elle masquerait la réalité sous une dénaturation des faits en les minimisant outrancièrement, et disant que ce n’était pas bien grave, puisqu’il n’a pas réussi après tout.
Les analyses juridiques et politiques concordent pour écarter ce deuxième scénario : nous sommes sur un problème de qualification, des faits et il y a quand même une évidence : Trump a voulu inverser le résultat d’une élection régulière, il a pour cela appelé à une émeute et a tenté de rejoindre les insurgés, n’en étant empêché que par l’opposition de son chauffeur membre du secret service.
Autre fait grave, l’Amérique et même l’Europe entière ont entendu l’enregistrement d’une conversation du président Trump avec un responsable électoral de Géorgie, dans lequel il déclare en substance : «Il faut me trouver 15000 voix trouvez les moi et cela renverse le scrutin. » Cela, bien sûr sans savoir qu’il était enregistré. Et tout le monde à entendu son insistance devant la réaction embarrassée, puis indignée, de son interlocuteur. Ce fait est un élément de sa rébellion contre la légalité dans une élection fédérale. Et les conséquences de l’acte dépassent donc les frontières de l’État. Enfin la circonstance qu’il ait échoué, n’est pas de nature à le rendre innocent. L’échec de la tentative ne supprime pas le crime.
En conclusion
La réponse à la question politique qui se trouve implicitement devant la Cour Suprême : déclarer l’inéligibilité ou renvoyer cela au peuple, nous semble aussi évidente que celle qu’elle doit donner à la question juridique. Donald Trump a beau s’autoproclamer juge de ce qui est vraiment ‘’américain’’, ce qui fait l’honneur de la pensée politique américaine, c’est l’invention et la mise en œuvre en 1787 par les pères fondateurs d’un système politique et juridique de démocratie moderne. Leur démarche pour instaurer leur république qui fut ensuite aussi imitée par la France, se fondait sur une conception rationnelle légale de la légitimité et s’écartait délibérément des facteurs « affectifs » comme le charisme ou une révérence pour la tradition.
Dans ce cadre là, le régulateur légitime du système, et de la légalité des élections, est le juge ; et non pas une démarche plébiscitaire, à la majorité simple, qui validerait après coup la situation de l’auteur d’un coup d’état réussit ou manqué. Le prince président Bonaparte a ainsi validé son coup d’état de 1851.
NOTES
Note 1 L’armée eut le 6 janvier 2021 un rôle implicite en n’étant mêlée en rien à la rébellion. Le coup d’état est en effet étranger à sa culture politique. L’armée américaine est une des rares forces militaire du monde développé à n’avoir jamais entrepris la moindre tentative de coup d’état. A la différence des pays européens (France Espagne Portugal Italie, Allemagne Grande Bretagne ( Cromwell), du Japon (ère des Shogun), et de la Russie.
Note 2. Un rédacteur de l’’’Opinion’’ dans le New York Times du 29 Décembre 2023 au 1erJanvier 2024, argue que ce n’est pas une tentative de coup d’Etat puisqu’il n’y a pas eu d’intervention de l’armée. Or il est clair que le14th ne vise pas spécifiquement une rebellion militaire. La rebellion peut aussi être commise par un civil qui porte une atteinte grave aux institutions constituant une 'rébellion, En en conséquence le rédacteur de cet éditorial dans les pages ''opinion'' du NYTimes commet une erreur de droit dans l'interprétation du texte.
Note 3. Notons au passage que les Etats Unis étaient jusqu’au 6 Janvier 2021, un des seuls pays développés à ne jamais avoir subi d’insurrection politique.
Note 4 L’esprit du texte de la Convention de Philadelphie était clair : la séparation des pouvoirs et leur interaction dans le cadre d’un ‘’Check and balance’’(frein et contrepoids) imposait clairement ce contrôle, mais c’était un choix politique jamais fait dans l’histoire, qui correspondait à la construction rationnelle d’une démocratie par l’établissement d’un état de droit garanti par un régulateur juridictionnel. C’était politiquement reconnaître une légitimité ‘’rationnelle légale’’ telle que Max Weber la théorisera un siècle plus tard.
par
Jean Dubois
Brigitte Panah-Izadi
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